Kobayashi Issa, le dernier des grands maîtres dans l'art du haïku ... cependant ...
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Cependant se dit Sarinagara en japonais.
Sarinagara, est un roman de Philippe Forest.
Sarinagara, ce mot est le dernier d'un des plus célèbres poèmes de la littérature japonaise.
"Oui, tout est néant - passage, vapeur, silence" - dit la poésie, mais Issa ajoute : "cependant"
Lorsqu'il l'écrit, Issa vient de perdre son unique enfant : oui, tout est néant, dit-il. Mais, mystérieusement, Issa ajoute à son poème ce dernier mot dont il laisse la signification suspendue dans le vide.
A Issa, la poésie sert à faire une marque un peu plus profonde dans le sillon d'encre que son pinceau laisse sur le papier. C'est tout. Issa est comme n'importe quel autre homme. Lorsque, à vingt-quatre ans, il signe le premier de ses poèmes, il ne peut rien prévoir du cheminement de ses jours : de l'allongement ou du rétrécissement de son pas, de l'incroyable et fastidieuse répétition des saisons qui l'attendent, de la sidérante trépidation immobile du chagrin, de la légèreté sans merci du plaisir, de la fatigue enfin. Il ignore tout de sa vie et même comment, au dix-neuvième jour de la onzième lune, en cette année 1827 d'un calendrier qui n'est pas le sien, retiré dans une remise épargnée par le feu, quelques mois avant le grand incendie dévastant son village natal de Kashiwabara, il trouvera la mort en fin d'après-midi.
Toute l'oeuvre d'Issa n'est qu'un long attendrissement devant le monde et je conçois bien que cela ne suffise à le discréditer tout à fait. Issa est bien le dernier des poètes. Cela signifie qu'il est le plus tardif des maîtres mais aussi le plus humble, le plus douteux, le moins respectable.
Tel qu'Issa l'observe, l'univers n'exprime que la grâce d'exister : le cheminement des fourmis sur le sol, le vol vain des papillons et des libellules, le chant gras des énormes cigales de sa terre, la compagnie aimante des créatures les plus vulnérables, l'épanouissement sexuel et sauvagement coloré des fleurs dans les champs lui sont des célébrations suffisantes.
"etre rien qu'en vie - à l'ombre des cerisiers - cela est miracle"
Oui, il n'y a pas d'autre grâce que celle d'être né.
Tout cela - cette légèreté enfantine - n'exclut d'ailleurs pas la pensée ni l'extase mélancolique de la sensibilité face à l'inflexible loi du temps. La jouissance de la vie suppose toujours, chez Issa, la conscience de son infinie fragilité. Tout plaisir fait signe ainsi vers la conscience sombre de son nécessaire anéantissement et rappelle à l'homme qu'il doit se résoudre au destin commun qui emporte et qui annule. Il y a parfois dans les poèmes d'Issa un peu de cette sagesse vaine et convenue. Par exemple :
" à mourir un jour - oui tiens-toi prêt tiens-toi prêt - les fleurs le répètent"
Mais la mort n'est jamais le dernier mot de la vie pour la vraie poésie. Et Issa écrit aussi :
"nous sommes au monde - et nous marchons sur l'enfer - regardant les fleurs"
Ce qui dit tout ou presque.
Extrait de Sarinagara
Roman de Philippe FOREST
Intégrale des haïku de printemps d'Issa publiés dans "Anthologie du poème court japonais" (Poésie/Gallimard)
Le printemps s'annonce
j'ai quarante-trois ans -
toujours là devant mon riz blanc
Matin de printemps -
mon ombre aussi
déborde de vie
Jour de printemps -
une seule flaque
retient le couchant
On vieillit -
même la longueur du jour
est source de larmes
L'âge de la lune ?
je dirais treize ans -
à peu près
Jour de brume
les nymphes du ciel
auraient-elles le vague à l'âme ?
Dans les brumes de chaleur
quelques trous laissés
par le bâton allé au temple
Pluie de printemps
au portail
le canard clopine
D'une voix jaune
le rossignol
appelle ses parents
De la narine du grand Bouddha
jaillit
une hirondelle
Hokusai - Hirondelle et pie sur fraisiers et bégonias
Soir d'hirondelles -
demain encore
je n'aurai rien à faire
Pour le mont Fuji
elles courent
les grenouilles aux culs alignés
Hokusaï - Le Fuji bleu
Sans souci
elle contemple la montagne -
la grenouille
Autour de ma cabane
les grenouilles rabâchent -
tu vieillis tu vieillis
Soleil couchant -
la grenouille aussi
est en larmes
Papillon voltige
dans un monde
sans espoir
Papillon qui bats des ailes
je suis comme toi -
poussière d'être !
Couvert de papillons
l'arbre mort
est en fleurs
Aux fleurs de pruniers
je parsème de sardines
la tombe de mon chat
Sous les fleurs de cerisiers
grouille et fourmille
l'humanité
A l'ombre des fleurs de cerisiers
il n'est plus
d'étrangers
Hiroshige - Cerisiers en fleurs - série les 100 vues célèbres d'Edo
Averse de pétales
je voudrais boire
l'eau des brumes lointaines
Puisqu'il le faut
entraînons-nous à mourir
à l'ombre des fleurs
Tous en ce monde
sur la crête d'un enfer
à contempler les fleurs !
Un monde
qui souffre
sous un manteau de fleurs
Hokusaï - Bouvreuil et cerisier pleureur en fleurs
Prépare-toi à la mort
prépare-toi
bruissent les cerisiers en fleurs
Suzuki - Couple sous un cerisier en fleurs
Sur la montagne
la lune éclaire aussi -
le voleur de fleurs
Merci de votre visite !
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